Une autre crise sanitaire progresse en parallèle de celle du coronavirus : celle des bactéries antibiorésistantes. En marche depuis des années, les chercheurs ont récemment constaté que celle-ci pourrait bien être exacerbée par la surmédication caractérisant la pandémie.


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    Une autre crise sanitairecrise sanitaire de bien plus grande ampleur que celle de la pandémie de coronavirus est en train de se jouer sous nos nez et à nos barbes. Maintes fois soulignée par les chercheurs et les professionnels de santé, elle demeure néanmoins à remédier et semble s'être aggravée au cours des derniers mois. Cette épidémie silencieuse, c'est celle des bactéries antibiorésistantes. Face à la propagation du virusvirus SARS-CoV-2SARS-CoV-2, la surmédication est récemment montée en flèche et avec elle le développement de nouveaux mécanismes de résistancerésistance chez ces micro-organismesmicro-organismes.

    Superbactéries : 700.000 morts par an

    « D'après l'Organisation mondiale de la santéOrganisation mondiale de la santé (OMS), le nombre de bactéries résistantes aux antibiotiquesantibiotiques a augmenté de manière exponentielle, causant environ 700.000 décès par an actuellement », lit-on dans l'étude « Comment arrêter la propagation des super-bactéries ? », parue dans la revue Capa en 2019. « L'utilisation exagérée des antibiotiques utilisés dans le traitement des infections humaines et vétérinairesvétérinaires a contribué à l'apparition et à la propagation de souches multirésistantes, rendant les antibiotiques obsolètes et contribuant au pronosticpronostic défavorable de plusieurs infections. »

    Le nombre de bactéries résistantes aux antibiotiques a augmenté de manière exponentielle, causant environ 700.000 décès par an actuellement

    Sept-cent-mille décès, c'est plus d'une personne par minute emportée par une infection bactérienne antibiorésistante. Et malheureusement, ce nombre n'est pas près d'aller decrescendo. « Des études en génétiquegénétique montrent que les germesgermes sont devenus particulièrement doués pour s'enseigner mutuellement comment se débarrasser des antibiotiques », commente un autre article de 2020, publié par l'Eastern Washington University. « Certains d'entre eux sont très adaptés aux traitements médicaux, de sorte que les médicaments qui sont habituellement utilisés pour les prévenir ou les tuer ne fonctionnent plus ; c'est ce qui crée des "bactéries résistantes aux médicaments". »

    Un phénomène aggravé par le coronavirus

    La pandémie de coronavirus et sa recrudescence actuelle ne font qu'exacerber cette tendance. Une étude publiée en mai dernier dans la revue Clinical Infectious Diseases révélait en effet que sur un échantillon de 2.000 patients atteints de la Covid-19Covid-19, 72 % s'étaient vu administrer des antibiotiques, alors que seulement 8 % d'entre eux étaient atteints d'infections bactériennes. Cette surprescription n'est pas sans conséquences et les chercheurs avertissent de notre manque de préparation face à la crise dans laquelle nous glissons silencieusement mais sûrement.

    Les chercheurs tirent la sonnette d'alarme face à l'absence de nouveaux traitements capables d'endiguer cette génération de bactéries antibiorésistantes. © Nomad Soul, Shutterstock.com
    Les chercheurs tirent la sonnette d'alarme face à l'absence de nouveaux traitements capables d'endiguer cette génération de bactéries antibiorésistantes. © Nomad Soul, Shutterstock.com

    Nos défenses sont en effet loin d'être optimales pour endiguer cette nouvelle génération de microbes ultra-résistants. Aucune nouvelle classe d'antibiotiques n'a été mise au point depuis 1987 avec les lipopeptides, et face à ce « vide de découverte », de nombreux laboratoires ont jeté l'éponge. Mais la menace, elle, continue de se propager. « Contrairement à la Covid-19, qui est apparue soudainement et a éclaté brutalement, la crise des superbactéries est en train de mijoterexplique la célèbre épidémiologiste Steffanie Strathdee. Elle est déjà au stade de pandémie. C'est déjà une crise mondiale, et elle s'aggrave avec la Covid. » Pour votre santé et celle de tous, veillez donc à limiter votre consommation d'antibiotiques, qui, rappelez-vous, ne sont pas automatiques !


    Le coronavirus pourrait exacerber l'antibiorésistance

    Article de Julien Hernandez, publié le 25 avril 2020 

    Les services de réanimation bondés et l'utilisation accrue d'antibiotiques souvent nécessaire pourraient à terme faire le lit d'une antibiorésistanceantibiorésistance exacerbée dans certains hôpitaux. C'est en tout cas ce que craignent plusieurs médecins et experts américains.

    Dans le cadre d'une infection à SARS-CoV-2, les médecins peuvent être amenés à administrer des antibiotiques à leurs patients afin d'éviter une surinfection bactérienne. En effet, selon un article paru dans la revue The Lancet, 15 % des personnes infectées admises en réanimation acquièrent une infection bactérienne à la suite de l'infection à SARS-CoV-2. La moitié des décès surviennent à cause de cela. L'antibiothérapie préventive apparaît donc en partie justifiée. Cependant, elle peut exacerber un problème encore plus grave : l'émergenceémergence et la multiplication de souches pathogènes multirésistantes aux antibiotiques. Un article paru dans la revue Science nous aide à y voir plus clair.

    Une inquiétude légitime 

    Les hôpitaux new-yorkais sont remplis, 50 % d'affluence en plus qu'en temps normal. Les infections secondaires au Covid-19 sont également légion. De fait, le recours aux antibiotiques devient aussi plus récurrent que d'habitude. Des unités bondées et une utilisation accrue d'antibiotiques sont les deux ingrédients nécessaires à la prolifération de bactéries multirésistantes. Même si certains médecins arguent que le personnel soignant est bien protégé, le matériel de protection est parfois réutilisé par les équipes médicales. De plus, certains patients partagent le même respirateur. Aussi, suite aux annonces du professeur Raoult concernant l'hydroxychloroquine et l'azithromycine, reprises par Donald Trump, les États-Unis connaissent une pénurie d'azithromycine. Cela ne dit rien sur les prescriptions mais on peut légitimement se poser la question de l'utilisation abusive d'antibiotiques dans le pays.

    En France, la situation est similaire mais légèrement différente. Concernant les infections bactériennes secondaires « des surinfections bactériennes, soit à l'entrée, soit en cours d'hospitalisation (pneumopathiepneumopathie acquise sous ventilation mécaniqueventilation mécanique ou PAVM) sont fréquentes. Je n'ai pas de statistiques sur les PAVM de patients Covid dans notre unité, mais sur les plus longs séjours il y en a chez presque chaque patient », explique Benoît Grandjean, anesthésiste réanimateur à Épinal. Timothée Abaziou, anesthésiste réanimateur à Toulouse, ajoute « qu'après l'infection initiale, il est possible qu'il y ait une phase d'immunodépressionimmunodépression comme en témoignerait la lymphopénie (taux de lymphocyteslymphocytes anormalement bas) fréquemment observée, rendant les patients plus susceptibles aux infections, notamment fongiques. De plus, ces patients font déjà partie des patients à risque d'infections associées aux soins, de par la duréedurée de ventilation, de sédation et les dispositifs invasifsinvasifs généralement utilisés (voie veineuse centrale, cathétercathéter artériel, sonde urinaire à demeure...). »

    Sur la question de l'utilisation des antibiotiques, ces deux médecins ne constatent pas la même chose dans leurs services respectifs. « L'utilisation des antibiotiques a fortement augmenté, car il y a trois fois plus de patients, qui sont tous graves (presque 100 % de ventilation invasive chez nos patients en réanimation). De plus, ils sont ventilés longtemps et on sait que le risque de PAVM augmente avec le temps. L'utilisation d'antibiotiques est donc nécéssaire », nous informe Benoît Grandjean. Quant à Timothée Abaziou, il nous explique que « l'utilisation d'antibiotiques ne semble pas avoir augmenté dans mon unité. Cependant, je travaille dans une réanimation dans laquelle beaucoup de patients viennent pour des chocs septiques de diverses causes, et que l'utilisation d'antibiotiques y est par conséquent très courante, ce qui peut constituer un biais. »

    À l'inverse du constat inquiétant de l'article publié dans Science, ces deux médecins ne réutilisent quasiment pas leurs équipements de protection et n'ont, pour l'instant, pas eu besoin de ventiler plusieurs patients avec le même respirateur. « Nous n'avons pas eu besoin à Toulouse de ventiler plusieurs patients avec le même respirateur. Pour les équipements, on garde les masques, mais on change le reste », précise Timothée Abaziou. Dans le service de Benoît Grandjean, la situation est similaire. Il nous raconte que « par rapport à d'habitude, certaines chambres ont deux patients au lieu d'un. Aussi, on a été amené à faire de la réanimation "open space" en salle de réveil. À ma connaissance, personne n'a été amené à partager des respirateurs en France. Enfin, nous ne réutilisons pas les équipements de protection chez nous (contrairement à d'autres services en France). On change de gants et de tablier à chaque patient. En revanche la surblouse sert pour plusieurs patients. »

    Les services bondés et l'utilisation massive d'antibiotiques pourraient exacerber le phénomène d'antibiorésistance. © Santypan, Fotolia
    Les services bondés et l'utilisation massive d'antibiotiques pourraient exacerber le phénomène d'antibiorésistance. © Santypan, Fotolia

    Médecins submergés en attente de recommandations

    Aux États-Unis, les médecins s'inquiètent vraiment de cet état de fait concernant les antibiotiques. Ils attendent des recommandations émanant des autorités sanitaires afin de gérer au mieux cette crise et d'éviter qu'une vague d'antibiorésistance submerge les hôpitaux. Benoît Grandjean nous rappelle « que pour l'acquisition de bactéries résistantes en réanimation, il existe deux mécanismes : la sélection de la flore du patient par les antibiotiques et une éventuelle acquisition de l'environnement. La première est probablement la principale, mais la seconde est la plus accessible aux mesures préventives. »

    Une étude du département de la Défense des États-Unis est en cours et s'attelle à étudier à quel point les antibiotiques sont administrés aux patients atteints de Covid-19 et à quelle fréquence ces derniers ont des infections secondaires qui justifient l'utilisation d'antibiotiques. Les résultats devraient aider les experts à élaborer des lignes directrices sur le moment et la manière dont les médecins doivent prescrire des antibiotiques aux patients Covid-19.

    Cela devrait aussi nous fournir un ensemble de données sur des milliers de patients pour aider les chercheurs à mieux comprendre comment les infections se propagent dans les hôpitaux et pourquoi les infections bactériennes et virales sont liées. « Les infections secondaires sont à l'étude depuis des décennies », conclut Bo Shopsin, médecin spécialiste des maladies infectieuses au Langone Health Center de l'université de New York, « les choses bougeront plus vite avec le Covid ».